Terrifiés par la pluie et la mer : La santé mentale, une bombe à retardement en Libye après les inondations dévastatrices

After the floods, Libyan Red Crescent teams were first on the scene, evacuating people and providing first aid and search and rescue.

After the floods, Libyan Red Crescent teams were the first to respond, evacuating people, providing first aid and search and rescue operations.

Photo: Libyan Red Crescent

Par Mey Al Sayegh, Directrice de la communication à l'IFRC pour le Moyen Orient et l'Afrique du Nord (MOAN)

Quelque chose d'aussi ordinaire que les jours de pluie et les bords de mer proches est malheureusement devenu une source de peur pour les habitants de l'est de la Libye, en particulier pour ceux qui ont vécu de près les inondations massives qui ont emporté leurs maisons, leurs voitures et leurs proches en un clin d'œil, dans la nuit du 11 septembre.

Il n'est pas exagéré de dire que la plupart des habitants de Derna, la ville la plus touchée, dont les souvenirs sont chargés d'images douloureuses, ont besoin d'un soutien psychosocial ou de santé mentale.  Les signes d'un traumatisme subi, tels que des enfants qui crient pendant leur sommeil ou qui font du somnambulisme, sont devenus monnaie courante à Derna, et même dans la ville voisine de Benghazi, où la plupart des familles ont fui la désolation.

Besoin urgent de soutien en matière de santé mentale

La semaine dernière, deux volontaires du Croissant-Rouge libyen, parfaitement rodés aux catastrophes, ont couru, terrifiés, jusqu'à l'antenne de Derna et se sont empressés de fermer les portes derrière eux parce qu'il commençait à pleuvoir.

«Les gens associent la pluie à la mort », explique Ali Gharor, responsable de la santé mentale et du soutien psychosocial au Croissant-Rouge libyen. «Tous les groupes de population de la ville ont besoin d'un soutien psychologique, y compris les volontaires.»

Même ceux qui ont trouvé refuge à Benghazi sont touchés. Haya Al-Hadar, une volontaire du Croissant-Rouge de Libye, raconte comment le Croissant-Rouge a essayé de fournir un chalet à une famille au bord de la mer, mais que celle-ci a catégoriquement refusé :

«Je n'oublierai jamais cette nuit-là. J'ai reçu un appel à 1h30 du matin, et on m'a informé que l'homme refusait de rester près de la mer, parce qu'il avait peur des zones côtières», s'est-il souvenu. «Il a insisté pour retourner avec sa femme et ses enfants d'où ils venaient. Nous leur avons fourni un appartement en dehors de la ville».

Bien que le Croissant-Rouge libyen fournisse un soutien psychosocial et des premiers secours psychologiques, la région a un besoin urgent de professionnels de la santé mentale.

«Des enfants et des personnes âgées se rendent quotidiennement dans ma clinique et demandent un soutien psychologique dans cet hôpital de campagne », explique le docteur Al-Siddiq Al-Haj Ali, responsable de la santé mentale au centre de Misrata affilié au ministère libyen de la santé et également bénévole à Derna. «Le temps est un facteur essentiel. Si les personnes touchées ne bénéficient pas d'un soutien psychologique au cours des trois à six prochains mois, nous pouvons nous attendre à voir se multiplier les troubles psychologiques et même les cas de suicide. »

Les volontaires du Croissant-Rouge parmi les sinistrés

Les visites de l'IFRC dans les zones sinistrées et les conversations avec les volontaires ont permis de constater que les volontaires du Croissant-Rouge libyen ont eux aussi un besoin urgent de soutien en matière de santé mentale, certains d'entre eux ayant perdu leur famille, leurs proches et leur maison.

Pour le volontaire Hamdi Ahmed Belaid, l'un des premiers à réagir à la catastrophe, le temps s'est arrêté depuis la nuit du 11 septembre, lorsqu'il a reçu un appel téléphonique de sa mère vers 2 h 15 du matin, qui s'est avéré être la dernière fois qu'il a entendu sa voix. Lorsque Hamdi est retourné dans son quartier, il a été dévasté par la vue de sa maison qui avait été balayée, emportant la vie de ses parents et de ses trois frères, ainsi que celle de nombreux voisins.

Malgré cette tragédie personnelle, Hamdi insiste pour poursuivre son travail d'aide aux personnes touchées : «L'aide apportée aux personnes touchées refroidit le feu dans mon cœur», ajoute-t-il. 

Ali Gharor, responsable de la santé mentale et du soutien psychosocial au Croissant-Rouge libyen, comprend très bien la situation difficile dans laquelle se trouve Hamdi. «Malheureusement, les volontaires ne semblent pas avoir le temps de faire leur deuil, ce qui risque de se répercuter négativement sur eux par la suite», explique-t-il. «Nos coutumes et nos traditions empêchent également certains d'entre eux de faire preuve de faiblesse, mais il est nécessaire de laisser le temps au chagrin.»

Un volontaire du Croissant-Rouge libyen joue avec des enfants après des inondations dans la ville de Derna.

Un volontaire du Croissant-Rouge libyen joue avec des enfants après des inondations dans la ville de Derna.

Photo: Croissant-Rouge libyen

L'unité spécialisée dans la santé mentale de l'IFRC soutiendra le Croissant-Rouge libyen

Compte tenu des besoins massifs, l'IFRC et d'autres partenaires du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ont convenu avec le Croissant-Rouge libyen de fournir un soutien dans ce domaine critique, tout en étant conscients du contexte culturel et des coutumes en matière de soutien à la santé mentale dans le pays.

L'IFRC se prépare à envoyer très prochainement une unité d'intervention d'urgence spécialisée dans la santé mentale et le soutien psychosocial dans les zones touchées.  Raja Assaf, Responsable des opérations d'urgence de l'IFRC en Libye, explique que cette unité comprendra des spécialistes de la santé mentale, des médicaments et d'autres équipements, ainsi qu'une équipe chargée de former davantage d'employés et de volontaires locaux du Croissant-Rouge libyen à la fourniture d'un soutien psychosocial.

« ​​​​​​Pour nous et le Croissant-Rouge libyen, il s'agit d'une priorité évidente, car nous essayons d'éviter toute bombe à retardement en matière de santé mentale et de prendre soin des personnes touchées du mieux que nous pouvons»​​​​​​​, conclut-il.

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